vendredi 23 octobre 2015

À destination : Sarajevo

Quand j'étais petite, j'étais pas mal nerd. Que je le sois encore est définitivement sujet à discussion. Mais bon. Toujours est-il que mon activité préférée était de lire. Et comme j'habitais une toute petite ville, je connaissais pas mal bien la collection de la bibliothèque municipale. Parmi celle-ci, un livre : Le journal de Zlata, le journal intime d'une jeune fille d'à peu près mon âge et qui habite à Sarajevo pendant la guerre. J'ai dû le lire 4 ou 5 fois. J'arrivais à peine à croire qu'une petite fille de mon âge écrive à chaque jour sur le fait qu'elle manque de tout, sur le bruit incessant des obus, sur le fait que son professeur soit mort en traversant la rue pour aller chercher de l'eau. En même temps, Sarajevo semblait si loin.


Allez là, c'était donc un peu comme la réalisation d'un rêve. Que s'est-il passé là-bas? Pourquoi, dans les années 1990, se fait-on encore la guerre? Je voulais comprendre tout cela. En même temps, Sarajevo, c'est bien plus que ça. De l'assassinat de François Ferdinand, événement déclencheur de la première guerre mondiale, aux Jeux Olympiques de 1984, en passant par un multiculturalisme tel qu'il n'en existe qu'à de rares endroits, il y a quelque chose à propos de cette ville qui m'intriguait.

La frontière entre la Croatie et la Bosnie ne laisse aucun doute : ce pays a souffert. Partout, je vois des maisons en ruine. Nous sommes loin du tourisme dont profite la Croatie. Dès mon arrivée à Sarajevo, je sens que je suis là où il faut. J'arrive en ville par l'ouest et on traverse le quartier de Sarajevo Novo, là où se trouve la tristement célèbre Sniper Alley. Je vois des tours d'habitations portant encore les cicatrices de la guerre; des bâtiments en ruine où la végétation reprend ses droits; je vois aussi une ville moderne avec ses centres commerciaux et ses habitants à la mode. Je me demande ce que portent en eux ces gens.



Je décide de marcher la distance entre l'auberge, qui se trouve dans le Vieux Sarajevo, appelé Bascarsijia et la station de bus. Si j'avais vu sur la carte que Sarajevo se déploie sur un axe ouest-est, je ne savais pas que je m'apprêtais à faire un réel voyage dans le temps. À l'ouest, Sarajevo Novo raconte l'époque socialiste de Tito : immeubles en béton de style communiste et relative modernité. Puis, on arrive dans le quartier austro-hongrois qui rappelle l'époque où la Bosnie appartenait à l'empire autrichien. Finalement, tout à l'est, se trouve le Vieux Sarajevo qui est le quartier témoignant de l'époque où Sarajevo constituait la frontière ouest de l'empire Ottoman.

Ouest : Sarajevo Novo
Centre : héritage austro-hongrois

Est : vieux quartier turque


J'arrive à l'auberge alors que j'aurais continué à marcher toute la nuit. Mais puisqu'il pleut (évidemment, je ne saurais plus espérer autrement de ce voyage dans les Balkans), je suis quand même contente d'arriver à l'auberge. Je monte au 2e étage et Dino m'y accueille avec le plus chaleureux des sourires. Il semble assez épaté que quelqu'un vienne à Sarajevo pour en apprendre plus sur son histoire; je le suis encore plus. Il me recommande un restaurant de bouffe bosniaque (dont j'ai entendu parler avec le plus grand bien durant mon séjour en Croatie) et je m'y rends pour un plat de klepe, un ravioli à la viande servi avec de la crème sûre. C'est délicieux.


À mon retour, je fais la connaissance du collègue de Dino, Jasmin (ou Graba, pour les intimes!). Ils font rapidement partie de mon expérience à Sarajevo. Graba est tout un personnage et avec lui, on ne s'ennuie jamais. Il a sa façon toute personnelle de nous parler de sa Bosnie dont il est si fier; par exemple, un burek ne peut contenir autre chose que de la viande (avez-vous compris, Croates?); ou encore, quand je l'interroge sur ses vêtement à l'effigie de la fleur de lys, il me démontre à l'aide de son postérieur et sans aucune ambiguité ce qu'il pense du drapeau actuel de Bosnie et me montre fièrement que le « vrai » drapeau, celui qui porte la fleur de lys. Dino, c'est tout le contraire : calme et posé, il aime tout le monde et tout le monde l'aime. Avec son grand coeur et son esprit ouvert, on peut parler de tout et de rien avec lui. On partage les même goûts musicaux, ce qui nuit grandement, entre autres choses, à ma productivité pour la rédaction des articles que je dois fournir avant la fin de la semaine.


Durant les huit jours que je passe à Sarajevo, je découvre la ville. En vrac et en photos, je visite des musées sur la guerre de Bosnie; je vois des monuments en souvenir du passé tumultueux de la ville; je me balade avec Harry et Emma le long de la vieille piste de bobsleigh abandonnée depuis les Jeux olympiques; j'observe un superbe coucher de soleil en écoutant l'appel des mosquées à partir des hauteurs de la ville, là même où les soldats serbes tenaient la ville en joue il n'y a pas si longtemps; je me balade dans la vieille ville turque et fume le narguilé avec Harry pendant qu'on discute voyage pendant des heures; je vais à une soirée typiquement bosniaque où une dense fumée de cigarette se confond avec la rumeur bruyante de centaines de personnes regroupées dans une ancienne salle de cinéma. Je me dissous complètement dans cette ville qui m'intrigue, m'enchante, m'enchaîne.



Ambiance olympique illusoire


The happy bunch

Ligne d'arrivée. Champions olympiques ou presque.

Le siège de la ville était tellement facile en raison de la géographie que c'en est frustrant.


Sarajevo a enterré beaucoup de ses enfants.


Roses de Sarajevo : là où les obus ont fait plus de trois victimes, Sarajevo se souvient.
Mémorial pour les enfants morts durant la guerre de Bosnie.
Flamme éternelle en souvenir de la seconde guerre mondiale.
Alors qu'au départ, je comptais demeurer deux ou trois jours à Sarajevo, puis me rendre à Mostar, une ville de Bosnie très touristique qui a aussi vécu la guerre et qui est placée sur le patrimoine mondial de l'UNESCO, puis passer quelques jours à Dubrovnik, mon séjour à Sarajevo s'est allongé sans fin jusqu'à ce que je n'aie plus le choix de quitter pour prendre l'avion qui me mènera demain à Barcelone (et qui était déjà acheté depuis quelques semaines). D'abord, la ville m'enchante avec son histoire, son multiculturalisme mais simplement aussi par sa beauté et sa tranquilité. Je fais aussi de belles rencontres à l'auberge que j'ai peine à quitter. Puis, je passe quand même quelques jours à bûcher sur l'article du Mouton Noir qui me donne décidemment bien plus de fil à retordre que je le souhaitais au départ.

Conditions météorologiques toujours exécrables...
D'ailleurs, j'ai abdiqué et j'ai fini par m'acheter un parapluie!
Je vous parlerai de ce qui s'est passé à Sarajevo. Plus j'en apprends sur les conflits dans le monde, moins je comprends comment on peut encore se faire la guerre. Même si c'est plutôt pessimiste – ou peut-être simplement réaliste – de dire que cela se reproduira encore et encore, il faut parler de ce qui s'est passé dans le passé pour éviter de le reproduire dans le futur. J'ai tant de choses à vous écrire, j'ai même pas encore commencé à parler de la Palestine que voilà que je veux tout vous raconter ce que je sais sur la guerre en Bosnie. Peut-être que je devrai prendre encore une autre année de congé?! Voilà une idée...

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