Quand j'étais petite, j'étais pas mal
nerd. Que je le sois encore est définitivement sujet à discussion.
Mais bon. Toujours est-il que mon activité préférée était de
lire. Et comme j'habitais une toute petite ville, je connaissais pas
mal bien la collection de la bibliothèque municipale. Parmi
celle-ci, un livre : Le journal de Zlata, le journal intime d'une
jeune fille d'à peu près mon âge et qui habite à Sarajevo pendant
la guerre. J'ai dû le lire 4 ou 5 fois. J'arrivais à peine à
croire qu'une petite fille de mon âge écrive à chaque jour sur le
fait qu'elle manque de tout, sur le bruit incessant des obus, sur le
fait que son professeur soit mort en traversant la rue pour aller
chercher de l'eau. En même temps, Sarajevo semblait si loin.
Allez là, c'était donc un peu comme la
réalisation d'un rêve. Que s'est-il passé là-bas? Pourquoi, dans
les années 1990, se fait-on encore la guerre? Je voulais comprendre
tout cela. En même temps, Sarajevo, c'est bien plus que ça. De
l'assassinat de François Ferdinand, événement déclencheur de la
première guerre mondiale, aux Jeux Olympiques de 1984, en passant
par un multiculturalisme tel qu'il n'en existe qu'à de rares
endroits, il y a quelque chose à propos de cette ville qui
m'intriguait.
La frontière entre la Croatie et la
Bosnie ne laisse aucun doute : ce pays a souffert. Partout, je vois
des maisons en ruine. Nous sommes loin du tourisme dont profite la
Croatie. Dès mon arrivée à Sarajevo, je sens que je suis là où
il faut. J'arrive en ville par l'ouest et on traverse le quartier de
Sarajevo Novo, là où se trouve la tristement célèbre Sniper
Alley. Je vois des tours d'habitations portant encore les cicatrices
de la guerre; des bâtiments en ruine où la végétation reprend ses
droits; je vois aussi une ville moderne avec ses centres commerciaux
et ses habitants à la mode. Je me demande ce que portent en eux ces
gens.
Je décide de marcher la distance entre
l'auberge, qui se trouve dans le Vieux Sarajevo, appelé Bascarsijia
et la station de bus. Si j'avais vu sur la carte que Sarajevo se déploie sur un axe
ouest-est, je ne savais pas que je m'apprêtais à faire un réel
voyage dans le temps. À l'ouest, Sarajevo Novo raconte l'époque
socialiste de Tito : immeubles en béton de style communiste et
relative modernité. Puis, on arrive dans le quartier austro-hongrois
qui rappelle l'époque où la Bosnie appartenait à l'empire
autrichien. Finalement, tout à l'est, se trouve le Vieux Sarajevo
qui est le quartier témoignant de l'époque où Sarajevo constituait
la frontière ouest de l'empire Ottoman.
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Ouest : Sarajevo Novo |
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Centre : héritage austro-hongrois
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Est : vieux quartier turque |
J'arrive à l'auberge alors que
j'aurais continué à marcher toute la nuit. Mais puisqu'il pleut
(évidemment, je ne saurais plus espérer autrement de ce voyage dans
les Balkans), je suis quand même contente d'arriver à l'auberge. Je
monte au 2e étage et Dino m'y accueille avec le plus chaleureux des
sourires. Il semble assez épaté que quelqu'un vienne à Sarajevo
pour en apprendre plus sur son histoire; je le suis encore plus. Il
me recommande un restaurant de bouffe bosniaque (dont j'ai entendu
parler avec le plus grand bien durant mon séjour en Croatie) et je
m'y rends pour un plat de klepe, un ravioli à la viande servi avec
de la crème sûre. C'est délicieux.
À mon retour, je fais la connaissance
du collègue de Dino, Jasmin (ou Graba, pour les intimes!). Ils font
rapidement partie de mon expérience à Sarajevo. Graba est tout un
personnage et avec lui, on ne s'ennuie jamais. Il a sa façon toute
personnelle de nous parler de sa Bosnie dont il est si fier; par
exemple, un burek ne peut contenir autre chose que de la viande
(avez-vous compris, Croates?); ou encore, quand je l'interroge sur
ses vêtement à l'effigie de la fleur de lys, il me démontre à
l'aide de son postérieur et sans aucune ambiguité ce qu'il pense du
drapeau actuel de Bosnie et me montre fièrement que le « vrai »
drapeau, celui qui porte la fleur de lys. Dino, c'est tout le
contraire : calme et posé, il aime tout le monde et tout le monde
l'aime. Avec son grand coeur et son esprit ouvert, on peut parler de
tout et de rien avec lui. On partage les même goûts musicaux, ce
qui nuit grandement, entre autres choses, à ma productivité pour la
rédaction des articles que je dois fournir avant la fin de la
semaine.
Durant les huit jours que je passe à
Sarajevo, je découvre la ville. En vrac et en photos, je visite des
musées sur la guerre de Bosnie; je vois des monuments en souvenir du passé tumultueux de la ville; je me balade avec Harry et Emma le
long de la vieille piste de bobsleigh abandonnée depuis les
Jeux olympiques; j'observe un superbe coucher de soleil en écoutant
l'appel des mosquées à partir des hauteurs de la ville, là même
où les soldats serbes tenaient la ville en joue il n'y a pas si
longtemps; je me balade dans la vieille ville turque et fume le
narguilé avec Harry pendant qu'on discute voyage pendant des heures;
je vais à une soirée typiquement bosniaque où une dense fumée de
cigarette se confond avec la rumeur bruyante de centaines de
personnes regroupées dans une ancienne salle de cinéma. Je me
dissous complètement dans cette ville qui m'intrigue, m'enchante,
m'enchaîne.
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Ambiance olympique illusoire |
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The happy bunch |
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Ligne d'arrivée. Champions olympiques ou presque. |
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Le siège de la ville était tellement facile en raison de la géographie que c'en est frustrant. |
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Sarajevo a enterré beaucoup de ses enfants. |
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Roses de Sarajevo : là où les obus ont fait plus de trois victimes, Sarajevo se souvient. |
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Mémorial pour les enfants morts durant la guerre de Bosnie. |
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Flamme éternelle en souvenir de la seconde guerre mondiale. |
Alors qu'au départ, je comptais
demeurer deux ou trois jours à Sarajevo, puis me rendre à Mostar,
une ville de Bosnie très touristique qui a aussi vécu la guerre et
qui est placée sur le patrimoine mondial de l'UNESCO, puis passer
quelques jours à Dubrovnik, mon séjour à Sarajevo s'est allongé
sans fin jusqu'à ce que je n'aie plus le choix de quitter pour
prendre l'avion qui me mènera demain à Barcelone (et qui était
déjà acheté depuis quelques semaines). D'abord, la ville
m'enchante avec son histoire, son multiculturalisme mais simplement
aussi par sa beauté et sa tranquilité. Je fais aussi de belles
rencontres à l'auberge que j'ai peine à quitter. Puis, je passe
quand même quelques jours à bûcher sur l'article du Mouton Noir
qui me donne décidemment bien plus de fil à retordre que je le
souhaitais au départ.
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Conditions météorologiques toujours exécrables... |
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D'ailleurs, j'ai abdiqué et j'ai fini par m'acheter un parapluie! |
Je vous parlerai de ce qui s'est passé
à Sarajevo. Plus j'en apprends sur les conflits dans le monde, moins
je comprends comment on peut encore se faire la guerre. Même si
c'est plutôt pessimiste – ou peut-être simplement réaliste –
de dire que cela se reproduira encore et encore, il faut parler de ce
qui s'est passé dans le passé pour éviter de le reproduire dans le
futur. J'ai tant de choses à vous écrire, j'ai même pas encore
commencé à parler de la Palestine que voilà que je veux tout vous
raconter ce que je sais sur la guerre en Bosnie. Peut-être que je
devrai prendre encore une autre année de congé?! Voilà une idée...
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