الألعاب, az-zahr (« jeu de dés »), nommé d’après l’arabe زهر, zahr (« fleur ») car la face gagnante du dé portait une fleur
lundi 28 décembre 2015
mardi 22 décembre 2015
Petit guide animé du thé à la menthe
Le thé à la menthe est sans contredit la boisson nationale du Maroc. Symbole par excellence de l'hospitalité et de l'amitié, c'est aussi le breuvage idéal pour accompagner tout repas. Au Maroc, l'alcool se fait rare mais ce n'est pas grave, il y a le thé à la menthe! Il est idéal pour tout : au réveil, pour accompagner la tajine, pour recevoir les amis (ou les clients dans ta boutique) ou encore pour relaxer avant le coucher (inimaginable pour une insomniaque comme moi).
Vu l'importance culturelle de ce délicieux breuvage, on ne peut le servir n'importe comment! Le protocole est très important et, heureusement, Aisha nous a bien enseigné comment faire.
Pour vous aider à avoir l'air d'un « vrai » la prochaine fois que vous passerez au Maroc, voici un petit guide illustré de l'art de servir le thé à la menthe!
1. Le thé devrait être servi ainsi (sinon, sauvez-vous à toutes jambes, vous êtes dans une place de touristes) : petite théière contenant les feuilles de thé sur lesquelles on a versé l'eau chaude, un verre contenant quelques feuilles de menthe et du sucre (2 ou 3 carrés normalement; Aisha avait depuis longtemps compris qu'on n'avait pas la dent trop sucrée et ne nous en plaçait plus qu'un dans notre plateau). Vous constaterez que la cuillère n'est pas nécessaire.
3. Placez le (ou les!) carrés de sucre dans la théière, puis fermez-en le couvercle.
4. Versez un premier verre de thé, du plus haut possible et sans en renverser une goutte.
5. Videz ce verre dans la théière (il faut mélanger le sucre).
6. Reversez un verre de la même façon que la première. Cela permet également de refroidir un peu le thé. De plus, la mousse qui se forme sur le dessus est délicieuse et vous permettra de jauger de la température de votre thé et d'éviter de vous brûler.
7. Recommencez, une dernière fois; videz et reversez à nouveau. Trois fois au total.
8. Dégustez!
Vu l'importance culturelle de ce délicieux breuvage, on ne peut le servir n'importe comment! Le protocole est très important et, heureusement, Aisha nous a bien enseigné comment faire.
Pour vous aider à avoir l'air d'un « vrai » la prochaine fois que vous passerez au Maroc, voici un petit guide illustré de l'art de servir le thé à la menthe!
1. Le thé devrait être servi ainsi (sinon, sauvez-vous à toutes jambes, vous êtes dans une place de touristes) : petite théière contenant les feuilles de thé sur lesquelles on a versé l'eau chaude, un verre contenant quelques feuilles de menthe et du sucre (2 ou 3 carrés normalement; Aisha avait depuis longtemps compris qu'on n'avait pas la dent trop sucrée et ne nous en plaçait plus qu'un dans notre plateau). Vous constaterez que la cuillère n'est pas nécessaire.
2. Placez la menthe dans la théière. Le verre désormais vide vous servira pour boire votre thé.
3. Placez le (ou les!) carrés de sucre dans la théière, puis fermez-en le couvercle.
4. Versez un premier verre de thé, du plus haut possible et sans en renverser une goutte.
5. Videz ce verre dans la théière (il faut mélanger le sucre).
6. Reversez un verre de la même façon que la première. Cela permet également de refroidir un peu le thé. De plus, la mousse qui se forme sur le dessus est délicieuse et vous permettra de jauger de la température de votre thé et d'éviter de vous brûler.
7. Recommencez, une dernière fois; videz et reversez à nouveau. Trois fois au total.
Bismilah!
jeudi 17 décembre 2015
Ma médina - 2e partie
En revenant sur mes
pas, puis en traversant la rue principale, je m'engage dans le souk
artisanal ou, si on préfère, le coin des touristes. Dans cette
partie de la médina, le parfait touriste pourra se procurer la
maroquinerie (accessoires en cuir), la tisserie, les coffres en bois
de thuya, les bijoux berbères, des vêtements, etc.
Je n'aime pas
tellement me promener dans cette section de la médina car on s'y
fait constamment solliciter.
- Bonjour (je réponds avec sincérité, mais me voilà prise au piège)
- Française?
- Non :)
- English?
- Québec!
- Aah! Canada (... hmmf!)
Pendant ce temps,
j'essaie de continuer mon chemin... Mais ils n'abandonnent pas.
- Merci, bslamah!
- Hé! Venez voir ma boutique, juste pour le bonheur des yeux.
- ... Shokran
- Parlez arabe?
- Chwiya chwiya...
- Venez prendre le thé (on se crie maintenant par la tête puisque je tente toujours de m'éloigner). Revenez me voir plus tard! Hé!
Certains vont vous
tendre la main en vous saluant, ce qui est difficile à ignorer. Une
fois ma main dans la leur, ils la tiennent solidemment pendant qu'ils
entamment la discussion, rendant la dérobade très difficile. Il
faut donc beaucoup de patience pour demeurer polie et beaucoup
d'imagination pour trouver les excuses adéquates pour qu'ils vous
laissent filer. Et ça recommence quelques mètres plus loin avec un
autre vendeur... Heureusement, après un mois à nous voir circuler
dans la médina, ils commencent à reconnaître nos visages et à
moins nous aborder.
Plusieurs
salutations et refus plus tard, j'arrive au bout de la rue. Je longe
le mur extérieur de la médina; j'entends le ressac de l'océan
Atlantique de l'autre côté. Je sais que je me trouve maintenant
dans le quartier juif, mais il n'y a pas vraiment de différence avec
le reste de la médina. Je suis dans le souk des marchands de tapis,
qui ont tous l'air bien défraichis. J'ose imaginer que ceux qui sont
à vendre, dans la boutique, sont un peu plus frais et gardés à
l'abri des rayons du soleil. C'est tranquille ici, on est en plein
après-midi, c'est l'heure de la sieste...
Je finis par me
retrouver sur la grande place Moulay Hassan, avec ses restaurants et
ses terrasses, ses vendeurs de cartes postales ou de lunettes fumées
de contrefaçon (« pas cher, seulement 1 million de dollars » - ils
font tous la même blague). Parfois, on peut assister au spectacle
d'un groupe de jeunes souiris, au costume fabriqué à la maison aux
couleurs du drapeau, qui font moult acrobaties contre quelques
dirhams. Tout au bout de la place, les remparts scellent la médina
et me séparent d'un tout autre univers : le port.
Allons-y et
profitons-en pour acheter de quoi faire un festin pour souper. Dès
que je traverse les remparts, je suis submergée de nouvelles
sensations. Le bleu du ciel et le bleu des chaloupes forment les
trames d'un paysage achalandé : motos, touristes, pêcheurs au teint
basané qui somnolent dans leurs barques ou qui rafistolent leurs
filets, vendeurs et étals de poissons et profusion de chats et
mouettes qui ont flairé la bonne affaire. Le sol est recouvert d'un
périlleux limon d'abats de poisson, d'eau souillée et d'huile de
bateau. L'odeur est éloquente, les rayons du soleil convoitent les
pupilles. J'ai rapidement compris que tous les vendeurs font les
mêmes prix, inutile de m'aventurer plus loin et de risquer la
culbute. Je m'arrête au premier étal et j'achète crevettes,
calmars et dorade pour le souper. Je répète tous les prix en arabe;
le vendeur est content. Il prépare mon calmar contre quelques
dirhams.
Je reviens sur mes
pas vers la médina et je m'arrête au comptoir de mon ami Mohamed.
Aussi heureux qu'un marocain peut l'être, il me presse à la main un
jus d'orange frais contre quelques dirhams. Je retourne vers la rue
principale et je me retrouve sur une grande place aux allures
coloniales, située tout près de l'Association Mogador-Essaouira, là
où nous prenons nos cours d'arabe. Je reconnais les mendiants qui
s'y trouvent. Il y a la vieille dame au dos tellement voûté que
l'on pourrait remettre la théorie de la gravité en question s'il ne
c'était de sa canne. Il y a cet homme qui vient se mettre devant
vous, la main tendue et vous empêchant de continuer votre chemin. Il
y a cet autre, avachi dans son chariot qui crie à longueur de
journée « Allah! Allah! Allah! Allah!...» (lorsque je suis allée
lui donner une pain, il est devenu complètement lucide, et d'un
français pas trop mauvais, m'a demandé si je faisais de la
gymnastique...!). Il y a ce mignon petit homme berbère avec sa
djabellah grise, il ne fait rien sinon nous demander l'aumône en
berbère. Lorsque je lui tends une clémentine, son visage s'illumine
et il regarde ce simple don comme s'il était d'or. Ces pauvres gens,
et bien d'autres que j'oublie, me rappellent à tous les jours
comment la sécurité sociale est précieuse. Ici, l'emploi est
difficile à trouver et un simple handicap peut vous mettre sur la
paille. J'ai vu des gens ramper dans la rue, n'ayant d'autres moyens
de locomotion que leurs bras et sans les moyens de se payer une
chaise roulante ou des béquilles. Mon coeur se serre puis le
sentiment de lâcheté me prend les trippes lorsque je réalise qu'il
m'est plus facile de regarder ailleurs et de continuer mon chemin.
Elle est bien belle, ma médina, mais la vie des gens qui y habitent
ne l'est pas autant.
Un peu plus loin
sur le chemin du retour, je salue mon ami de la pâtisserie
Lajeunesse, là où je vais déjeuner à tous les matins. Avec
l'invariable café au lait (nss-nss, ou moitié-moitié), j'ai le
choix entre la baguette à la Petite vache qui rit, l'omelette au
fromage rouge (fromage edam, dont la meule est entourée de cire
rouge à la façon d'un Babybel) ou la chocolatine. Le tout pour
moins de 1$, et c'est le café qui coûte cher. Je continue mon
chemin car j'ai des fruits de mer à mettre au frigo, quoi qu'ils ont
déjà passé une bonne partie de la journée au soleil...
Avant de m'engager dans la petite ruelle de l'auberge, je jette un coup d'oeil à ma médina. J'essaie de graver ses couleurs, ses visages, ses odeurs et ses sons dans ma mémoire. Je sais que mon passage ici est important, mais je ne sais pas encore pourquoi.
Avant de m'engager dans la petite ruelle de l'auberge, je jette un coup d'oeil à ma médina. J'essaie de graver ses couleurs, ses visages, ses odeurs et ses sons dans ma mémoire. Je sais que mon passage ici est important, mais je ne sais pas encore pourquoi.
vendredi 11 décembre 2015
Survivre, ou voir sa maison détruite
Publié le 11 décembre 2015 dans La Riposte vol. 36 no 8.
Après l’annexion illégale de Jérusalem-Est, Israël modifie le zonage de la ville et un maigre 13 % est conservé pour le développement de la communauté palestinienne. Sur ces 9,2 km², s’entassent donc 230 000 Palestiniennes et Palestiniens dans des quartiers étouffés par les colonies israéliennes qui poussent tout autour. Ceux qui désirent rénover, agrandir ou construire leur maison doivent faire une demande de permis de construction auprès des autorités israéliennes. Pour l’obtenir, il n’y a qu’à entreprendre ce « processus démocratique et ouvert à tous les citoyens de la ville » et s’assurer de remplir les conditions, dont en voici quelques exemples :
- Prouver que l’on possède le terrain pour lequel le permis est demandé.
Depuis 1967, l’enregistrement de terres est interdit pour les Palestiniennes et Palestiniens.
- La construction de la maison ne doit pas faire augmenter la densité du patrimoine bâti au-delà d’une certaine limite.
Les quartiers palestiniens dépassent presque tous déjà cette limite.
- Le terrain pour lequel le permis est demandé doit être inscrit au registre des biens immobiliers de la Ville.
Seulement 3 % de la superficie des quartiers palestiniens de Jérusalem est inscrite à ce registre.
- Les infrastructures municipales doivent être adéquates sur le terrain pour lequel le permis est demandé.
Les infrastructures et services municipaux, pour lesquels les Palestiniennes et Palestiniens paient des taxes, sont peu entretenus ou fournis. Ceci sous prétexte que ces quartiers sont trop dangereux pour les employés municipaux.
- Payer les frais.
L’ensemble des coûts associés à l’obtention d’un permis de construction pour un bâtiment de 200 m² peut atteindre 38 000 $ (1) , coût exorbitant pour les Palestiniens jérusalémites, dont 65 % vivent sous le seuil de la pauvreté. De plus, inutile pour eux d’espérer obtenir un prêt hypothécaire dans une banque israélienne.
Sans espoir de pouvoir obtenir le permis, les Palestiniennes et Palestiniens se voient donc dans l’obligation de construire illégalement leurs maisons. En conséquence, 40 % des bâtiments de Jérusalem-Est ont été construits sans permis et risquent la démolition. Entre 1967 et 2009, Israël a démoli à Jérusalem-Est plus de 2 000 « structures » appartenant à des Palestiniennes et Palestiniens et, seulement en 2015, 450 démolitions ont déjà eu lieu (2) .
Comme l’avis de démolition est délivré envers un
bâtiment, et non pas une personne, l’inspecteur
municipal n’a pas à le remettre en main propre
au propriétaire; il peut être placé sous une roche
sur le terrain, sur le rebord d’une fenêtre ou
sur le pas de la porte. Parfois, les propriétaires
apprennent qu’un avis de démolition a été émis
pour leur maison lorsqu’arrivent les bulldozers.
Ceux-ci pouvant n’arriver que plusieurs mois
après l’émission de l’avis, les habitants de la
maison vivent avec une épée de Damoclès audessus
de la tête, ne sachant pas à quel moment
la catastrophe surviendra.
La plupart du temps, les maisons sont démolies
tôt le matin. Une dizaine de véhicules militaires
encerclent la maison, laissant à peine dix minutes
à ses habitants pour en sortir. Aussitôt qu’ils ont
franchi le seuil de la porte, volontairement ou par
la force, les bulldozers commencent le travail
devant leurs yeux impuissants.
Après la démolition, la famille recevra une
amende pour avoir construit une maison sans permis de construction ainsi qu’une facture pour
régler les frais de la démolition et du déplacement
des troupes militaires, une dette qui peut prendre
des années à rembourser. Parfois même, on exige
des propriétaires qu’ils s’occupent eux-mêmes
de la démolition de leur maison.
Sans maison et sans espoir de pouvoir obtenir un permis pour la reconstruire, la plupart des familles décideront de quitter Jérusalem, perdant du même coup leur statut de résident permanent . Qu’en répond Israël? Que les Palestiniennes et Palestiniens qui ont brisé la loi étaient au courant des conséquences. La réponse ne résiderait-elle pas plutôt dans cette politique municipale, adoptée en 1973, de maintenir un ratio démographique à 70 % d’Israéliens et 30 % de Palestiniens?
___________________________
(1) MARGALIT, M. 2007. No place like home : House demolitions in East Jerusalem. Israeli Committee Against House Demolition, 55 p.
(2) Israeli Committee Against Home Demolitions. [En ligne], http://icahd.org/
Après l’annexion illégale de Jérusalem-Est, Israël modifie le zonage de la ville et un maigre 13 % est conservé pour le développement de la communauté palestinienne. Sur ces 9,2 km², s’entassent donc 230 000 Palestiniennes et Palestiniens dans des quartiers étouffés par les colonies israéliennes qui poussent tout autour. Ceux qui désirent rénover, agrandir ou construire leur maison doivent faire une demande de permis de construction auprès des autorités israéliennes. Pour l’obtenir, il n’y a qu’à entreprendre ce « processus démocratique et ouvert à tous les citoyens de la ville » et s’assurer de remplir les conditions, dont en voici quelques exemples :
- Prouver que l’on possède le terrain pour lequel le permis est demandé.
Depuis 1967, l’enregistrement de terres est interdit pour les Palestiniennes et Palestiniens.
- La construction de la maison ne doit pas faire augmenter la densité du patrimoine bâti au-delà d’une certaine limite.
Les quartiers palestiniens dépassent presque tous déjà cette limite.
- Le terrain pour lequel le permis est demandé doit être inscrit au registre des biens immobiliers de la Ville.
Seulement 3 % de la superficie des quartiers palestiniens de Jérusalem est inscrite à ce registre.
- Les infrastructures municipales doivent être adéquates sur le terrain pour lequel le permis est demandé.
Les infrastructures et services municipaux, pour lesquels les Palestiniennes et Palestiniens paient des taxes, sont peu entretenus ou fournis. Ceci sous prétexte que ces quartiers sont trop dangereux pour les employés municipaux.
- Payer les frais.
L’ensemble des coûts associés à l’obtention d’un permis de construction pour un bâtiment de 200 m² peut atteindre 38 000 $ (1) , coût exorbitant pour les Palestiniens jérusalémites, dont 65 % vivent sous le seuil de la pauvreté. De plus, inutile pour eux d’espérer obtenir un prêt hypothécaire dans une banque israélienne.
Sans espoir de pouvoir obtenir le permis, les Palestiniennes et Palestiniens se voient donc dans l’obligation de construire illégalement leurs maisons. En conséquence, 40 % des bâtiments de Jérusalem-Est ont été construits sans permis et risquent la démolition. Entre 1967 et 2009, Israël a démoli à Jérusalem-Est plus de 2 000 « structures » appartenant à des Palestiniennes et Palestiniens et, seulement en 2015, 450 démolitions ont déjà eu lieu (2) .
![]() |
Maison démolie (et tempête de sable) dans le quartier Jabal al-Mukabbir. |
![]() |
Restes d'une maison détruite près du camp Shu'fat. |
Cette maison, voisine de la maison démolie sur l'image précédente, fut démolie avant même que ses propriétaires y aient emménagé. |
Sans maison et sans espoir de pouvoir obtenir un permis pour la reconstruire, la plupart des familles décideront de quitter Jérusalem, perdant du même coup leur statut de résident permanent . Qu’en répond Israël? Que les Palestiniennes et Palestiniens qui ont brisé la loi étaient au courant des conséquences. La réponse ne résiderait-elle pas plutôt dans cette politique municipale, adoptée en 1973, de maintenir un ratio démographique à 70 % d’Israéliens et 30 % de Palestiniens?
___________________________
(1) MARGALIT, M. 2007. No place like home : House demolitions in East Jerusalem. Israeli Committee Against House Demolition, 55 p.
(2) Israeli Committee Against Home Demolitions. [En ligne], http://icahd.org/
samedi 5 décembre 2015
Ma médina - 1ère partie
Je sors à peine de l'auberge que
s'offre à moi la première image de ma médina : les enfants qui
jouent au ballon dans la rue. Ces enfants, on les entend jour et soir
à travers les fenêtres sans vitre de l'auberge. Parfois, je discute
un peu avec eux. Ils ont 8, 9, 10 ou 12 ans et n'aiment pas l'école
(c'est difficile, disent-ils). Ce qu'ils aiment, c'est le foot et le
basket.
Ce coin de ruelle, entre la fumée
blanche des sardines qui grillent à la petite bicoque d'à côté et
les touristes qui vont et viennent à l'auberge, c'est leur petit
univers. Une cour de récré d'à peine 5m sur 8, où les rayons du
soleil ne pénètrent jamais à cause de la hauteur des bâtiments
autour, mais où ils s'imaginent quotidiennement être l'héros
national réussissant le but décisif de la Coupe du monde.
Je les observe un moment, attendrie,
puis je me dirige vers le souk qui se trouve au bout de la petite rue
de l'auberge. Je croise sur mon passage ce petit restaurant familial
où on entend toujours le grésillement de la friture des poissons et des pâtés de pomme de terre, puis ce petit barbier appelé Les
amis, où il y a toujours un homme en train de se faire tailler
la barbe.
J'arrive au souk et tous mes sens sont
subitement sollicités. Les bruits, l'odeur de la menthe et les
couleurs des voiles et des djebellah (la tunique typique des
marocains) m'emplissent. Les rayons du soleil percent enfin les murs
de la médina et je dois placer ma main devant mes yeux pour réussir
à avancer dans ce chaos. Je dois d'abord contourner l'un des
nombreux vendeurs de sardines, qui entoure patiemment sa prise du
jour de gros sel en attendant les prochains clients.
D'autres obstacles rendent la
progression difficile : les chariots des vendeurs de pain et d'herbes
fraiches. L'un d'eux enveloppe ma botte de menthe fraiche et
croquante dans un papier journal. Je lui tend en retour 1 dirham
(15¢); je n'ai plus à demander les prix. Il n'est pas coutume ici
de le demander; la plupart des gens demandent, ou prennent, les
produits voulus puis déposent les pièces dans la main tendue du
vendeur. La transaction marchande marocaine typique peut donc
s'effectuer sans qu'un seul mot soit prononcé, quoi qu'il ne soit
pas dans l'habitude des marocains de ne pas se saluer, s'embrasser et
prendre des nouvelles, parler d'autre chose que d'argent, quoi!
Derrière les chariots des vendeurs de
sardines, de pain et d'herbes, se trouvent les boutiques de fruits
secs. Dattes, raisins et figues, frais ou séchés et de toutes les
variétés, côtoient les « gâteaux » (on appelerait ça des
biscuits chez nous) et les beurres d'arachides ou d'amande.
Plus loin, ce sont les vendeurs
d'olives, qui me donnent l'impression qu'il existe un paradis sur
terre. Construites chaque matin avec grand soin, ces petites
paramides concaves d'olives, de câpres, de légumes marinés et de
citrons confits invitent à la dégustation, permise d'ailleurs.
Impossible d'acheter sans goûter : le vendeur insistera et vous
placera une pleine pelletée d'olives sous le nez.
C'est là aussi qu'on achète l'huile
d'olive. Un demi-litre svp. Mashi moshkil (pas de
problème), aussitôt le vendeur rincera une bouteille d'eau vide puis la remplira de ce beau liquide vert et opaque
à partir d'une plus grosse bouteille. Pas d'emballage, pas de logo, pas de prétention. Pourtant, le goût de cette huile ne laisse aucun
doute sur sa pureté, sa fraicheur et l'authenticité de sa
production.
Je continue mon chemin en zigzaguant
entre les chariots des vendeurs de khoobz,
ce pain plat typique du Maroc, un peu croustillant à l'extérieur
mais avec une mie moelleuse et criblée de trous. Moyen logistique
par excellence, tout le monde ici possède un de ces petits chariots
pour transporter leur marchandise au et hors du souk, matin et
soir. Ou encore, pour y faire une petite sieste lorsqu'il est vide.
J'entre
pour une petite balade au souk de la volaille. Malgré son nom, on y
vend de tout : en plus de poulets vivants, attachés et amorphes,
égorgés, déplumés, entiers ou coupés, on y trouve aussi les
oeufs, légumes, céréales, légumineuses et épices. J'observe une
femme et sa jeune fille pointer un poulet dans la basse-cour
improvisée d'un kiosque. L'homme empoigne le poulet sous les ailes
avec deux doigts, puis le bec avec les deux autres, et il tranche la
jugulaire d'un coup sec avec son autre main qui tenait un couteau.
Tout s'est passé très vite et le poulet, encore parcouru de
spasmes, est placé tête en bas dans un entonnoir d'aluminium. Je ne
vois pas ce qu'il advient du sang. Ce qui m'amènera à me
questionner sur les préceptes halal.
Venant du kiosque
d'en face, un boucan d'enfer : c'est la machine à déplumer le
poulet, une simple bande de caoutchouc qui tourne rapidement et sur
laquelle on frotte l'animal. Les marchands semblent surpris de la
présence d'une touriste dans ce lieu qui doit répugner la plupart
des occidentaux. Leurs regards interrogateurs m'intimident un peu.
Je n'ose pas trop sortir la caméra mais le carnet et le crayon que
je tiens à la main constituent un début d'explication à ma
présence dans ce lieu très authentique.
Je sors donc du
souk de la volaille et me voilà de retour sur la rue principale de
la médina. Elle est jonchée de déchets. Ici, on s'embarrasse peu
de la gestion des feuilles de chou défraichies, des écailles de
poissons qu'on a gratté, des pelures de clémentines et,
malheureusement, des sacs de plastique qui ont servi à emballer les
produits. Maigre consolation, des employés de la ville nettoieront
complètement la rue ce soir, lorsque la plupart des marchands auront
fermé boutique. On ramasse d'abord les déchets avec un balai fait à
la main de feuilles de palmier, puis on lave la rue à grande eau.
D'ailleurs, il m'arrive souvent de glisser sur l'espèce de boue qui
recouvre la rue tôt le matin, avant que le soleil n'ait eu le temps
de l'assécher.
J'arrive chez notre
marchand de légumes préféré. En achetant toujours nos légumes à
la même place, on a fini par développer une familiarité avec lui,
ce qui nous permet non seulement de pratiquer un peu notre arabe mais
aussi d'avoir confiance aux prix qu'il nous demande. Il nous
accueille toujours avec plaisir, malgré sa timidité manifeste. Nous
sommes habitués maintenant : on saisit un panier de plastique et on
y dépose les aliments que l'on choisit. Les tomates cerises,
concombres, oignons rouges, pois sucrés et poivrons rouges nous
permettront de faire une bonne salade marocaine. Pour le couscous, on
choisira plutôt les carottes, courgettes, patates et navets. Il nous
en coûte rarement plus d'1,50$ pour tous les légumes du repas.
Parfois, on achète aussi des clémentines mais on préfère aller
tout au bout de la rue où le kilo ne coûte que 30¢.
De l'autre côté
de la rue, je vois deux boucheries typiques qui pourraient
certainement rebuter certains les plus sensibles d'entre vous. Les
carcasses de viande pendent au-dessus du comptoir pendant toute la
journée, permettant à la biologiste que je suis de pratiquer mon
anatomie : côtes, reins, testicules... Des chats, partients et
alléchés, attendent devant le kiosque, immobiles, la tête levée
avec espoir. Parfois, un boucher leur lancera quelques morceaux de
viande pour tuer l'ennui.
Je continue mon
chemin vers la première porte, qui marque la fin du souk
alimentaire. Dès que je la traverse, l'univers sensitif change
complètement. Il y a moins de gens, moins d'obstacles, moins
d'odeurs, moins de bruit. D'ici à la prochaine porte, c'est le souk
des vêtements et des tissus. Toutes les boutiques se ressemblent un
peu et sont plus ou moins d'intérêt pour quiconque dont le style
vestimentaire ne correspond pas à porter une longue toge sous une
robe de chambres en polar et un voile... C'est la section la plus
tranquille de la médina, où l'on ne trouve ni l'agitation du souk
alimentaire, ni la sollicitation constante des vendeurs du souk
artisanal.
Juste avant de
traverser la deuxième porte, je prend la rue à gauche où, à 10m,
se trouve la boutique d'herboristerie de notre ami Abdoullatif. Il
vend les épices, le thé et les produits de beauté à base d'huile
d'argan, d'olive ou d'avocat. Mais le plus drôle à propos de ces
boutiques d'herboristerie, très nombreuses dans la médina, ce sont
les racines et plantes aux mille vertus : pour grossir, pour maigrir,
pour la constipation, contre les reins [sic], contre la chute de
cheveux, contre l'herpès (!), contre les mauvais yeux, pour huiler
la chatte, pour faire grimper madame aux rideaux, pour faire monter
Mimi au lustre...
À suivre...
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